Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
4 décembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 8e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

*

J'ouvris les yeux et, aussitôt, une sensation de vertige me saisit. Je m'empressai de refermer les paupières. Je les rouvris lentement, enracinant mes talons dans le sol - quel sol? - et me souvenant que ce que je voyais n'était qu'une simulation. 

Chaque fois que j'avais eu à entrer dans l'informonde, lors des entraînements, c'était pour me voir confronté à une situation périlleuse qui me plongeait de plein fouet dans l'action. J'évoluais alors dans des paysages réalistes - l'espace, un vaisseau spatial, une planète hostile - qui situaient le cadre d'une mission virtuelle. Le monde virtuel d'Hantasa donnait le vertige par son absence de décor. Un espace vide, noir, sans plancher, sans murs, sans plafond, dans lequel il serait si facile de devenir fou, si ce n'était de la porte dans son cadre vermoulu, qui s'ouvrait devant moi, et la présence de l'avatar de la jeune femme à mes côtés. Cette dernière avait pris l'apparence d'une nymphe légèrement vêtue.

Je détournai le regard.

- Plutôt sobre, le décor, non? dis-je pour camoufler mon trouble.

- Ce lieu est mon univers. Il n'en tient qu'à vous de le remplir, Less, répondit-elle, sensuelle.

Par les dieux du cosmos, voilà qu'elle remettait cela?

- Euh... Oui, bon... peut-être plus tard, si vous le voulez bien.

Dans quel pétrin m'étais-je fourré? J'appréciais une jolie femme comme la plupart des mâles de la galaxie, mais pas en mission. Ce genre de proposition m'aurait davantage plu quand je m'emmerdais dans mon salon, devant mon système d'holovision en panne.

- Pour le moment, mademoiselle Éli, je préférerais que vous me communiquiez les informations que je suis venu chercher. Je suis sûr qu'ensuite, je trouverais moyens de vous témoigner ma gratitude.

Cela suffit à donner des ailes - littéralement - à l'avatar de la directrice des ventes de Lub-Docks. Elle s'envola vers la porte, auprès de laquelle elle m'attendit. Je la rejoignis. Elle me prit la main et, ensemble, nous franchîmes le seuil.

De l'autre côté, un battement sourd et régulier nous accueillit.

- Quel est ce bruit? m'enquis-je, intrigué.

- Nous sommes au coeur du système, Less.

Original. Le concepteur de cet informonde avait symbolisé le coeur du système par des battements cardiaques.

- Et ces infos? rappelai-je à ma compagne.

- Quelle hâte, Less!

Je préférai me la fermer. Si j'enchaînais sur ce genre de réflexions grivoises, je ne sortirais jamais d'ici.

La jeune nymphe battit de ses ailes diaphanes et s'éleva. Dans ce qui servait de ciel à ce curieux univers, elle entama un ballet tout en chassés, pirouettes, gambades et grands écarts. Au bout d'un moment, une liste géante de noms, numérotés, apparut à la verticale dans le ciel noir.

La directrice se posa à mes côtés, visiblement ennuyée.

- Quelque chose ne va pas dans cette liste. Il devrait y avoir vingt-trois noms, un pour chaque numéro, mais il n'y en a que vingt-deux.

- Quelqu'un a altéré le fichier?

- Assurément!

- Vous savez qui?

- Non. Jusqu'ici, je faisais pleine confiance à mon personnel.

- Qui y a accès?

- Tous les vendeurs de Lub-Docks.

Bon. Inutile de poursuivre l'investigation de ce côté. Valait mieux parer au plus pressé.

- Si on a tenté d'effacer un nom, c'est qu'il devait avoir son importance, songeai-je à voix haute. Voyons s'il n'y a pas moyen de le récupérer.

- Vous vous y connaissez en informatique?

- Un peu. Mais votre informonde me cause des problèmes. Il ne m'est pas suffisamment familier pour que j'y évolue à l'aise. Voyez-vous un inconvénient à ce que je fasse appel à un expert?

- Pas le moins du monde! Plus on est de fous... Mais où trouverez-vous un expert?

- Mettez-moi seulement en contact avec mon aviso et vous verrez.

La nymphe reprit position dans le ciel noir et, après quelques pas, la voix désincarnée de Gus se fit entendre.

- Coup de pot!

- C'est moi, Gus.

- Ah, garçon, ça va comme tu veux?

- Non, pas vraiment. J'ai besoin de ton aide.

- Enfin!

J'offris un sourire impuissant à la directrice devant l'impertinence de Gus.

- Je suis présentement dans un monde virtuel. Tu peux me rejoindre en suivant la voie de communication?

- Sans problème, garçon! J'arrive!

Gus n'avait pas sitôt terminé sa phrase qu'il apparaissait devant nous, aussi réel que nous dans cet univers. Plus, même, puisqu'il était de même nature.

Il me frôla à peine du regard pour s'attarder longuement sur les formes graciles de la nymphe.

- Jolie sirène! complimenta-t-il enfin, admiratif.

- Si t'as un peu fini, tu pourrais peut-être t'intéresser à mon problème?

- Problème? Quel problème? Oh, oui! Le problème!

De mauvaise grâce, son regard quitta la nymphe, qui semblait prendre plaisir à l'attention soutenue dont elle faisait l'objet, et se porta sur moi.

- Quel est ce problème, garçon?

Je lui indiquai la liste géante toujours suspendue dans le ciel.

- Quelqu'un s'est amusé avec ce fichier. Tu vois, il manque un nom.

- Je vois. Et tu voudrais que je le retrouve.

- Tout juste!

- Soit! Ce sera vite fait!

Je grimaçai, sceptique. Je soupçonnais que cet élan de vantardise était dicté par son désir d'impressionner la nymphe. Je me demandais ce qu'il espérait. Comme si la directrice générale des ventes de Lub-Docks pouvait s'enticher d'un hologramme, fort laid, de plus.

Gus s'avança vers la liste, sembla s'y fondre et disparut. Aussitôt, la nymphe s'approcha de moi et saisit mon bras.

- Mignon, votre copain! chuchota-t-elle.

Je la dévisageai, étonné. D'accord, tous les goûts étaient dans la nature, mais tout de même!

- En l'attendant, poursuivit-elle, nous pourrions peut-être faire plus ample connaissance?

- Euh... oui... bien sûr, bégayai-je en essayant de me dépêtrer de sa prise sur mon bras. Mais il a dit qu'il ne serait pas long.

La nymphe ne se laissa pas convaincre aussi facilement. Elle se pressa contre moi, se montra suave, aguichante. Je reculai, tentai de prendre la fuite, fis trois fois le tour de la liste, la nymphe en remorque. Puis, je trébuchai, croulai sous son affection. Quelle joie je ressentis en  voyant qui se penchait sur nous.

- Je ne vous dérange pas trop? demanda Gus, l'oeil brillant.

- Pas du tout! m'empressai-je de répondre.

À regret, la nymphe se laissa relever par mon pirate, qui m'aida ensuite à me remettre sur pied.

- Tu as trouvé?

- Évidemment!

Regardant par-dessus son épaule, je vis le vingt-troisième nom, maintenant sur la liste: le Comte Ratula. Une adresse partielle suivait: Ourmanie, Gueuhse, où « Ourmanie » était le nom d'un patelin, et « Gueuhse » celui d'une planète. Le fameux propulseur hyperspatial dont j'avais la signature avait été installé sur un yacht baptisé Le Sanguin.

- D'une maladresse monumentale, l'apprenti-pirate, me confia Gus. Sûrement un amateur.

- Comment ça?

- Il a laissé ses empreintes partout. La date et l'heure de son forfait, le numéro du poste où il a opéré, et comme si cela ne suffisait pas, il a même oublié d'effacer son code d'identification.

- Tu sais donc qui a fait le coup?

- Ben oui! C'est ce que j'essaie de te dire, garçon!

- Alors, ne reste pas là à nous faire languir! Dis-nous qui c'est!

Un sourire taquin se dessina dans sa barbe. Puis, il se décida à parler.

- Yachim Brejniaf!

- Pas possible! s'écria la directrice-nymphe. L'avorton, le cancrelat, la punaise d'Yridis! Me faire ça, à moi!

La nymphe parut se trémousser de rage, puis disparut de l'informonde. Je compris alors qu'elle s'était déconnectée de l'ordinateur.

- Dans l'état où elle se trouve, confiai-je à mon ami holographique, je préfère ne pas la laisser seule avec Brejniaf. Elle est capable de le pendre par les pouces au mât de misaine. Rentre au Coup de pot et prépare l'appareillage. Je t'y rejoindrai.

- Soit, garçon! Amuse-toi bien! entendis-je encore comme je sortais de l'informonde.

À nouveau, un léger vertige me déséquilibra quand je retirai le casque et que mon regard se porta sur le bureau de Hantasa Éli. La transition me rappelait cette première fois où, d'une chaloupe qui ballottait, j'avais mis pied sur le quai.

Pas de trace de la directrice dans le bureau. Je m'élançai à l'extérieur. Je ne mis pas longtemps à repérer Hantasa et Brejniaf. Ce dernier, écroulé dans le fauteuil où il m'avait poussé, subissait les assauts colériques de la directrice, qui le menaçait de s'en prendre à sa virilité. Bien que l'idée de venir en aide au vendeur détestable ne me sourît guère, je décidai tout de même d'intervenir. Il serait utile de savoir pourquoi il avait voulu altérer le fichier des ventes de yachts.

Séparer la harpie de sa victime ne fut pas des plus aisé. Elle avait les ongles longs, Hantasa! Finalement, égratigné et balafré, je finis par la calmer.

Une fois que nous eûmes tous trois retrouvé notre souffle, je traînai le petit vendeur mal habillé dans le bureau de la directrice, celle-ci sur nos talons, et entrepris de cuisiner Brejniaf.

Le premier assistant de Hantasa se fit d'abord têtu, mais pas longtemps. Un seul regard sur le visage courroucé de sa patronne suffit à le convaincre qu'il valait mieux se hâter de lâcher le morceau s'il voulait conserver la possibilité de devenir père un jour.

Brejniaf avait agi sur ordre d'un des principaux actionnaires de Lub-Docks, un type TRÈS important.

- Qui est ce personnage important qui me vaut votre trahison? gronda Hantasa qui ne dérougissait pas.

- Hantasa, plaida Yachim. Je ne peux pas vous le dire, j'ai promis.

- Si vous savez ce qui est bon pour vous, vous parlerez, mon petit Yachim, ajouta la directrice, menaçante.

Pendant cet échange, je me tenais à l'écart, observant le petit vendeur. De toute évidence, il était terrorisé. En aucun moment, je n'aurais aimé me trouver dans sa culotte, particulièrement pas en ce moment, où il était sur le point de faire dedans.

La directrice ne relâcha pas la pression, le harcelant avec hargne. Finalement, dix minutes plus tard, n'en pouvant plus, Brejniaf s'effondra en larmes.

- Pardon, Hantasa, pardon, confia-t-il enfin. Je ne voulais pas, il m'a obligé.

- QUI? Je veux son nom, Yachim! QUI?

- C'est... c'est...

Le regard du petit vendeur devint vague, ses traits, flasques, et il se mit à prononcer des mots sans suite. Il avait craqué.

- Un barrage mental protégeait l'information que l'on tentait de presser de son cerveau, confiai-je à Hantasa alors que deux infirmiers de Lub-Docks emmenaient Yachim hors du bureau. Un barrage très solide. Brejniaf a versé dans la folie plutôt que de révéler son secret.

- C'est triste, compatit la directrice.

Son regard se posa ensuite sur moi.

- Vous dînerez bien avec moi, Less. Je vous invite.

- Ben... euh... c'est que...

Mais, déjà, elle avait mis le grappin sur mon bras en m'entraînait à sa suite... 

 

Publicité
Commentaires
Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
Publicité
Archives
Publicité