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Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
19 décembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 23e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

*

Le glisseur que j'avais loué filait bon train dans la nuit. Sur la banquette voisine, la jeune femme donnait des signes de nervosité. 

- Tu es certain de n'avoir rien oublié? me demanda-t-elle pour la quatrième fois.

- Certain! répliquai-je, un tantinet exaspéré.

Au cours de notre séjour sur Gueuhse, nous étions passés au tutoiement. Je lorgnai vers ma compagne et me sentis aussitôt coupable. Elle n'avait surtout pas besoin que je lui saute sur la noix. Pour me racheter, je tentai de la rassurer.

- Ne t'en fais pas. Tout ira bien. Je sais où loge le chef du gang des longs couteaux, nous n'aurons pas de mal à le trouver.

- Ce n'est pas cette partie-là de ton plan qui m'inquiète, tu sais. C'est après. Qu'arrivera-t-il après?

Était-elle sérieuse? Je la dévisageai un moment et ne pus m'empêcher de la trouver mignonne sans son déguisement de Gueuhsoise. Nous avions pelé notre identité gueuhsoise dès que nous avions quitté Ourmanie pour gagner le glisseur de location, garé hors de la ville, à la lisière de la forêt.

- Une navette nous attend à l'astroport, poursuivis-je. On y embarquera l'homme au chapeau mou et nous rejoindrons le Coup de pot dans l'espace.

- Tu as averti Gus?

- Évidemment!

- Tu es sûr qu'il nous attendra aux bonnes coordonnées?

- Sûr! Cesse de t'inquiéter! Tout ira bien. Nous sommes tous les deux armés et j'ai l'hyposeringue dans ma poche. Avec ce qu'elle contient, notre bonhomme ne nous fera aucune misère.

Je décélérai car nous abordions la ceinture portuaire. Me faufilant entre taxis, glisseurs et piétons, je réussis à m'engager dans la direction du quartier peu recommandable où habitait le chef des longs couteaux, le fameux Naï Rush.

Plus nous approchions, plus les véhicules devenaient rares, pour faire place à un accroissement considérable du nombre de piétons. Comme les façades des immeubles, l'aspect des piétons se transforma, se défraîchit, pour laisser voir enfin un laisser aller indéniable, des ruines.

À quelques pâtés de maisons de notre destination, j'éteignis le phare du glisseur, au grand dam de Tnarshalla, et passai en vision nocturne. Notre arrivée serait plus discrète ainsi.

Je réduisis encore la vitesse de l'appareil avant de l'engager dans la ruelle menant derrière l'immeuble où logeait Naï Rush. Je me stationnai.

- Nous y sommes, annonçai-je.

- C'est bon à savoir! rétorqua Tna. On n'y voit rien!

- Moi, si!

- Mutant! lança-t-elle à mi-voix, comme nous descendions du véhicule.

Je faillis rouspéter. Je n'étais pas un mutant! Enfin, oui, peut-être... Mais pas comme on l'entendait habituellement. Les petites « améliorations » dont bénéficiait mon corps y avaient été implantées. Néanmoins, ce n'était ni le moment, ni l'endroit pour en débattre. Aussi, je me tus et guidai ma compagne vers la porte arrière de l'immeuble. Celle-ci faillit me rester dans la main quand je voulus l'ouvrir, tant elle était peu solide.

- J'espère qu'il dort, me souffla Tna comme nous entrions dans la place.

Tna faisait référence à Chapeau mou. Je le souhaitais aussi. Cela nous faciliterait la tâche. Malgré la belle assurance dont j'avais fait preuve devant ma compagne, une léger malaise me triturait. Pas tout à fait une inquiétude, mais une préoccupation.

Tout était silencieux. Nous nous engageâmes dans un couloir miteux, haut de plafond, percé de deux portes à main gauche. La petite enquête que j’avais effectuée dans la journée m’avait révélé qu’une cage d'escalier montant aux étages était dissimulé derrière une tenture à notre droite.

En plus de notre type au chapeau mou, une dizaine de personnes habitaient l'immeuble. Au rez-de-chaussée, il y avait la concierge aux pantoufles en fourrure synthétique et son protecteur: un tigre de Ganleb gros comme un poney. Mon ouïe surentraînée perçut son feulement quand nous passâmes devant la porte de l'appartement de la concierge. C'était la seule à bénéficier d'un appartement véritable. Les autres locataires devaient se contenter de simples chambres. Au premier, on trouvait le chef des longs couteaux, une ancienne chanteuse de cabaret défraîchie et un manchot qui se brûlait la cervelle à la briséïne. Tout le deuxième avait été loué par un proxénète et ses employées.

Au moment d'aborder l'escalier, j'aperçus un autre locataire: un rat! Et si je me fiais aux grattements provenant des murs, il n'était pas le seul à profiter de la maison.

Malgré les craquements énervants de l'escalier, nous arrivâmes à la chambre de Naï Rush sans encombres. Là, toutefois, nous connûmes notre première déception. Chapeau mou ne dormait pas. À moins qu'il ne parlât dans son sommeil, car il semblait s'entretenir avec quelqu'un. Les cloisons de carton de l'édifice n'offrant guère d'intimité, la conversation nous parvenait sans mal.

- Où en es-tu? demanda l'interlocuteur.

Je connaissais cette voix, mais, pour l'instant, je n'arrivais pas à lui accoler un visage.

- L'aviso s'est volatilisé, Patron!

Patron? Da Vernis! Chapeau mou s'entretenait avec da Vernis! Aussitôt, j'eus l'instinct d'empoigner Tnarshalla et de l'immobiliser contre moi. Bien m'en prit: elle était sur le point de se ruer dans la pièce.

- Impossible de le retrouver, Patron! poursuivait Naï Rush pendant ce temps. Personne ne sait où il se trouve. Personne ne l'a vu depuis son décollage de Gueuhse.

Aucun doute, ils causaient du Coup de pot! Mon stratagème a fonctionné, songeai-je avec satisfaction. Chapeau mou ne se doutait de rien. Quelle surprise il aurait en nous voyant!

- Incapable! s'emporta da Vernis. Retrouve-le! Vite! Sinon...

Là-dessus, Tna me mit les orteils en bouillie d'un vigoureux coup de talon. Je n’eus d’autre choix que relâcher ma prise. La jeune femme en profita pour ouvrir la porte – apparemment Rush avait négligé de mettre le verrou –, et se précipiter aveuglément sur la seule silhouette humaine présente dans la chambre: Naï Chapeau mou, qu'elle martela de coups de poings. Entre la douleur lancinante de mes orteils et mon envie folle de donner une fessée monumentale à la fifille ministérielle, je compris que da Vernis n'avait jamais été dans la pièce, que sa voix provenait du microcommunicateur holophonique posé sur le lit.

Bénéficiant de l'effet de surprise, Tna mit Chapeau mou K.‑O. Le truand s’écroula. Mais Tna ne s’arrêta pas. Elle le frappait avec une telle rage que je dus intervenir, de crainte qu'elle ne l'abîme trop. Finalement, je réussis à la calmer, non sans mal, lui répétant que le chef des longs couteaux nous serait inutile si elle le tuait.

Après quoi, je vérifiai l'état de notre homme et, tranquillisé, lui injectai la presque totalité du contenu de l'hyposeringue, un puissant narcotique. Je m'assurais ainsi qu'il ne s'éveillerait pas à un mauvais moment.

Le plus difficile était fait. Il ne nous restait plus qu'à amener discrètement notre prisonnier jusqu'au glisseur. Le prenant entre nous, passant chacun un de ses bras sur nos épaules, Tnarshalla et moi le sortîmes de la chambre. Les voisins du dessus venaient d'entreprendre un programme de gymnastique qui impliquait nombre de grincements de sommier et de halètements rapides.

Nous n'allâmes pas bien loin: des pas lourds et nombreux grimpaient les marches de l'escalier. Vivement, nous rebroussâmes chemin et nous réfugiâmes dans la chambre de Chapeau mou. Je verrouillai la porte. Dans l'expectative, nous attendîmes que les nouveaux arrivants fussent passés pour repartir avec notre fardeau. Mais les choses se compliquèrent. Les visiteurs frappèrent à la porte du long couteau en chef.

Ce n'était pas le moment de perdre la tête. Rapidement, j'examinai la pièce. Petite, sale, mais elle bénéficiait d'un énorme avantage: une fenêtre.

- Tu es là, patron? insista, de l'autre côté de la porte, une voix que je reconnus aussitôt: Sammi Sow!

Crash! Le gang des longs couteaux!

La fenêtre était notre unique retraite. En vision nocturne, j'étudiai ce qui nous attendait au-delà. Tous les dieux et déesses du cosmos devaient se pencher sur nous car, deux mètres plus bas, j'aperçus le toit de tôle d'une remise. J'espérais seulement qu'elle était assez solide pour nous recevoir sans s'effondrer.

- Ce n'est pas normal! affirma quelqu'un, dans le couloir. Il a dit qu'il nous attendrait. Il est sûrement là!

Bon. Les choses se corsaient. D'ici peu, les pas beaux n'hésiteraient plus et pénétreraient de force dans la pièce. Pas le temps de faire dans la dentelle. J'empoignai Chapeau mou.

- Qu'est-ce que tu fais? chuchota Tna, pressante.

Je ne répondis pas, trop occupé à passer notre hôte par la fenêtre. Il alla s'échouer, avec un son mat, sur le toit de la remise, qui tint le coup.

- À toi, maintenant, lançai-je à ma compagne, qui me regardait avec des yeux qui en disaient long sur ce qu'elle pensait de mon état de santé mentale. Tu n'as rien à craindre, la rassurai-je. Il y a une remise deux mètres plus bas. Essaie seulement de ne pas trop piétiner Chapeau mou.

- Tu es certain que cette remise n'est qu'à deux mètres? Je ne la vois pas.

Les coups soudains et brutaux contre la porte m'évitèrent de devoir confirmer mes assertions. Tnarshalla paraissait tout à coup avoir pleine confiance en moi et, sans hésiter, elle enjamba la tablette de la fenêtre pour sauter.

Je m'apprêtais à la suivre quand le battant céda d'un coup. Je vis apparaître les visages hébétés des membres du club des longs couteaux. Leur adressant un petit salut, je plongeai. Je me reçus en souplesse, évitant de peu d'écraser les doigts de Chapeau mou sous mes talons. Nous n'avions pas de temps à perdre. Les affreux ne tarderaient pas à se lancer à nos trousses.

Avec l'aide de Tna, je chargeai Naï Rush sur mes épaules et, l'un derrière l'autre, nous nous éloignâmes sur le toit de tôle légèrement pentu.

Deux « clang! » consécutifs nous annoncèrent l'arrivée sur le toit de deux des hommes du gang. Le troisième repasserait sans doute par l'escalier pour nous prendre à revers. Il nous fallait rejoindre le glisseur au plus tôt; notre situation allait vite devenir intenable.

Les pas de nos poursuivants se rapprochaient rapidement, n'ayant pas, eux, un poids mort sur les épaules. Je devais les empêcher de nous rattraper. Maintenant ma charge d'une main, je dégainai mon radiant et tirai derrière moi au jugé. Je ne touchai aucun des deux malfrats, mais les forçai tout de même à se plaquer sur la surface ondulée du toit pour esquiver les traits d'énergie.

Je rejoignis Tnarshalla qui m'attendait au bord du toit. En vision nocturne, je n'eus aucun mal à reconnaître l'endroit: nous avions débouché dans la ruelle derrière l'immeuble. J'apercevais même notre glisseur, stationné cinquante mètres plus haut.

Pas le temps de nous éterniser. Nos poursuivants s'étaient décidés à user à leur tour d'armes énergétiques. Ils visaient volontairement au-dessus de nos têtes, ne voulant pas courir le risque d'atteindre leur chef, mais je ne me fiais pas à leur talent de tireurs d'élite. Couché à plat ventre sur le toit, je répliquai par la bouche de mon canon.

Pendant ce temps, Tna poussait Naï en bas du toit. Peu après, elle le rejoignait.

Elle n'avait pas sitôt sauté qu'elle lâcha un cri de surprise.

*

 

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