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Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
14 décembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 18e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

Chapitre 11

 

 

Le monte-charge, qui se traînait lamentablement, eut besoin d'une dizaine de minutes pour atteindre le rez-de-chaussée. Plus d'une fois, l'envie m'avait pris de descendre et d'aller le pousser, malgré l'impossibilité de la chose.

J'arrêtai l'ascension. Attentif, vision nocturne enclenchée, j'examinai l'endroit où nous avions abouti. Il devait faire la moitié de la surface de celui que nous venions de quitter. Taillé en demi-lune, on l'utilisait de toute évidence comme entrepôt. On avait empilé des boîtes à proximité et un genre de tracteur occupait le centre, capot levé.

- Restez là, conseillai-je à la jeune femme.

Comme je descendais du monte-charge, une âme charitable eut la brillante idée de faire taire l'alarme. Je pris conscience alors combien ce son agressant m'avait mis les nerfs en pelote. Je fis un effort conscient pour me détendre.

De l'autre côté du tracteur, derrière une haie de bidons, j'aperçus une porte basse et étroite. Étrange, songeai-je. Impossible de sortir le tracteur par ce trou de souris. Il était suffisant, toutefois, pour nous permettre, à Tna et à moi, de quitter ces lieux.

Je bondis par-dessus la haie de bidons, retins mon souffle à l'atterrissage pour ménager mes côtes. Doucement, j'entrouvris la petite porte et la refermai aussitôt. Crash! Des gardes! Une dizaine. Trop nombreux pour envisager de les affronter en combat singulier. Pas dans l'état où je me trouvais.

Silencieusement, je revins vers Tna.

- Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-elle.

- Notre fuite est coupée par une colonie de mérinos. Allons voir plus haut, chuchotai-je en reprenant place sur le monte-charge.

L'appareil se remit à ronronner.

Tna, la tête contre mon épaule, récupérait. Elle paraissait s'en remettre totalement à moi. J'en étais flatté, bien sûr, mais aussi inquiet. Car je n'étais pas du tout certain qu'on s'en sortirait. Depuis un bon moment, mon plan cafouillait lamentablement. Sortir du manoir n'aurait pas dû se révéler aussi difficile. Je regrettais de n'avoir pas fait taire ma trouille maladive des araignées. Nous serions loin à présent.

Nous montâmes longtemps, beaucoup trop longtemps, sans rencontrer de nouveaux étages. Je commençai à soupçonner dans quelle partie du manoir nous nous trouvions. Et si j'avais raison, nous étions perdus.

En bout de course, le monte-charge s'arrêta de lui-même. J'aidai Tna à mettre pied dans la toute petite pièce qui nous accueillait. À quelques pas, un escalier de cinq marches s'élevait jusqu'à une large trappe.

- Chut! fis-je pour ma compagne d'infortune.

Je grimpai la première marche, m'arc-boutai et, retenant mes gémissements de souffrance, tentai de soulever le panneau de bois. Il résista d'abord, mais se plia finalement à ma volonté. Le ciel nocturne de Gueuhse apparut. Ainsi que le canon de l'arme laser d'une sentinelle. Tna poussa un petit cri de surprise.

- Les mains en l'air, ordonna le garde.

- Difficile de les avoir plus en l'air que ça, marmonnai-je.

Je tenais toujours la trappe à bout de bras.

- Silence! Montez!

Nous fîmes preuve d'obéissance et rejoignîmes la sentinelle tout au sommet d'une des deux tours jouxtant le manoir du comte.

- On a une belle vue, d'ici, remarquai-je.

- La ferme!

La propriété du comte s'étendait à nos pieds. S'il avait fait jour, sûr que nous aurions pu embrasser du regard tout Ourmanie. Une passerelle reliait la tour à sa jumelle. Des silhouettes y apparaissaient, de plus en plus nombreuses.

Notre gardien sortit d'une main une radio préhistorique. Tout en nous gardant à l'oeil, il la porta à sa bouche et se mit à parler.

- Danìl, tu m'entends?

- Je t'entends, Léod, répondit l'interlocuteur au milieu d'interférences insupportables.

- J'ai les fuyards.

- QUOI!

- Amène-toi! Je tiens les fuyards sous la menace de mon arme, j'te dis!

C'était le moment où jamais d'agir. Lorsque ses petits copains seraient là, il serait trop tard.

Je profitai qu'il replaçait sa radio dans son étui pour lui rentrer dedans de toutes mes forces. L'arme laser, qu'il tenait mollement, s'envola dans les airs. Sous ma charge, le garde recula jusqu'au parapet. Penchés au-dessus du vide, une lutte sans merci s'engagea.

- Vite, Less, ils arrivent, me lança Tna.

Les silhouettes que j'avais aperçues au sommet de la tour jumelle avaient pris la passerelle d'assaut et fonçaient vers nous de toute la célérité dont elles étaient capables.

Mon adversaire profita de ce moment d'inattention pour retourner la situation. Une pichenette dans ma cage thoracique lui suffit. Soudain, j'étais celui menacé de basculer dans le vide.

Ses mains enserrèrent ma gorge et je sentis mes forces décroître. Déjà, l'asphyxie me faisait voir des étoiles qui n'auraient pas dû se trouver dans le ciel gueuhsois. Je me forçai au calme, cessai de résister. Instinctivement, mon assaillant relâcha sa prise. Je réagis alors, lui expédiai un violent coup de genou dans le plexus solaire, suivi d'un coup de mes poings joints sur la nuque. Le garde s'écroula au sol.

Il était plus que temps. D'ici quelques secondes, ses petits copains nous rejoindraient.

- Venez! lançai-je à Tna.

À situation désespérée, moyen désespéré.

- Passez vos bras autour de mon cou et accrochez-vous solidement.

La jeune fille sur mon dos, je montai sur un créneau. Puis, je poussai au maximum le bouton-glissoir de ma ceinture anti-g. Un miracle serait nécessaire pour que cette tentative complètement folle ne nous tuât pas tous les deux. La ceinture n'avait absolument pas été prévue pour supporter deux personne.

- Halte! Arrêtez!

Ces cris, derrière nous, me servirent d'incitatif. Je me lançai dans le vide.

Crash! Nous tombions! Le compensateur gravifique nous trahissait. J'entendais le gémissement aigu du micro-générateur. Au bord de la panique, je tripotai les boutons de ma ceinture anti-g. L'absence de résultats me mit en rogne et, d'un solide coup du plat de la main, je frappai la boucle. L'effet fut instantané. À trois mètres de la catastrophe, sûr que, désormais, nous servirions d'engrais à la pelouse du comte, notre chute ralentit considérablement.

L'atterrissage fut brutal, mais nettement moins que je ne le redoutais.

Nous nous relevâmes, sonnés. Là-haut, les gardes donnaient l'alarme.

- Venez, fis-je, en saisissant la main de Tna.

Mais où aller? Il nous était désormais impossible de joindre mon glisseur.

La grosse voiture noire! C'était notre seule chance si elle était toujours garée devant le manoir!

Je tirai Tna dans cette direction. En constatant qu’elle se trouvait bien à sa place, je poussai un soupir de soulagement et nous l’atteignîmes sans encombres.

- Montez!

Je me battis un instant avec la portière. De la demeure surgissaient des hommes armés. Je parvins enfin à ouvrir. Deux secondes me suffirent pour comprendre la procédure de mise en marche. Le puissant moteur rugit. Le bras d'embrayage, la pédale de droite, et nous foncions en trombe sur le chemin de gravier, dérapant sur la surface instable. À une ou deux reprises, le véhicule quitta carrément la route pour rouler sur la pelouse. Chaque fois, heureusement, je réussis à le ramener.

De nouveaux gardes affluaient à bord de leurs petits véhicules à roues. Plus d'un s'écarta devant notre bolide fou.

Puis apparut la porte blindée qui gardait la propriété du comte. Comment la franchir?

Je retirai mon pied de la pédale d'accélération un bref moment.

Tna, à mes côtés, s'agrippait à ce qui lui tombait sous la main. Je pris alors une décision. Pas question qu'elle retombât entre les pattes de Ratula! Le dernier acte se jouerait à quitte ou double.

Sur le volant, je trouvai le klaxon. Je le frappai, l'écrasai, tout en enfonçant à nouveau l'accélérateur.

Derrière, les gardes avaient fait volte-face et nous poursuivaient à bord de leurs petits carrosses.

Nous foncions. La porte demeurait close. Je continuai à faire hurler mon klaxon, créant chaos et confusion. Puis  nous ne fûmes plus qu'à vingt-cinq mètres de l'obstacle. Vingt mètres. La lourde porte blindée pivota alors sur elle-même avec une vitesse que je n'aurais jamais cru possible. Ce fut juste, mais nous passâmes.

Je braquai à gauche. Le véhicule dérapa dangereusement vers le bas de la colline et la rivière. J'accélérai et l'arrière reprit sa place sur la route.

Tout n'était pas joué, néanmoins. Dans les rues étroites et sinueuses d'Ourmanie, la puissance du moteur du bahut noir ne me servirait à rien. En vérité, les voiturettes des gardes, compactes et nerveuses, bénéficieraient d'un net avantage. De plus, ces gardes, Ourmaniens d'origine pour la plupart, connaissaient bien la ville, alors que moi... J'aimais autant ne pas y penser.

Pour me simplifier la tâche, je restai sur la route qui longeait la rivière. Certes, elle ne m'offrait pas beaucoup d'alternatives, si on venait à me couper la voie, mais au moins, je ne risquais pas de me perdre.

L'aube se levait à l'horizon.

À chaque virage, nous perdions nos poursuivants de vue. Pourtant, chaque fois qu'ils réapparaissaient, je constatais qu'ils avaient un peu plus grugé notre avance.

Les Ourmaniens, matinaux, envahissaient de plus en plus les rues, les bloquant de leurs chariots, pousse-pousse et autres moyens pour transporter biens et denrées. Sans doute convergeaient-ils vers le marché. En attendant, leur présence me forçait à ralentir, presque à stopper par endroits. Cela ne pouvait pas continuer ainsi. Bien sûr, la populace ralentissait aussi nos poursuivants, mais ceux-ci parvenaient plus facilement à se faufiler, grâce à la taille réduite de leurs véhicules.

Je n'avais pas le choix. Pour éviter d'être irrémédiablement bloqué, il me fallait quitter la route de la rivière.

À la première occasion, je pris à droite, direction opposée à celle qu'empruntaient les Gueuhsois.

Nous traversâmes un pont de bois, qui me parut bien fragile sous le poids de notre véhicule.

Je tournai vers le sud à l'intersection suivante, vers l'astroport. Avec un peu de chance, ce détour forcé me permettrait de semer ceux qui nous talonnaient. Malheureusement, trois kilomètres plus loin, la rue se terminait en cul-de-sac.

- CRASH!

Au bout, un édifice de pierre se dressait, partiellement à cheval sur la rivière.

- Un moulin, reconnut Tna.

Impossible de revenir en arrière à cause des hommes du comte qui nous recherchaient.

- Il va falloir improviser, ma chère, lançai-je en descendant du véhicule.

Je l'entraînai vers le moulin. Peut-être pourrions-nous nous y barricader...

Je m'engageai sur une large galerie qui semblait faire le tour de l'édifice. Pas de fenêtres en façade pour jeter un regard à l'intérieur. Je me dirigeai droit vers la porte. Le bouton refusa de jouer.  Fermée, évidemment.  Pourquoi la chance m'aurait‑t‑elle soudain souri? Rassemblant mon courage, je pris mon élan et, d'un solide coup d'épaule ) dont le choc se répercuta douloureusement dans mon thorax ) je tentai de l'enfoncer. Peine perdue.

Je me tournai vers l'endroit où je croyais trouver Tna, mais ne la vis pas. J'en fus d'abord soulagé; elle n'avait pas assisté à ma piètre performance. Puis l'inquiétude prit le pas. Où diable était-elle passée? Les sbires l'avaient-elle récupérée à mon insu?

- Venez voir! m'appela Tna, de l'arrière du bâtiment.

En chemin, j'étais bien décidé à lui faire passer toute envie de me refaire une trouille pareille, mais l'esquif amarré à un pilier de bois du moulin, qu'elle me désignait avec un sourire à faire chuter un ange d'Icel, fit vaciller ma détermination.

Un escalier qui descendait jusque dans l'eau donnait accès à l'embarcation, que j'examinai d'un oeil faussement expert. Je grimaçai. Avec le courant tumultueux de cette rivière, nous serions ballottés comme du blé dans l'estomac d'un sauteur... sans savoir si cette coquille de noix prenait l'eau.

- On n'a pas trop le choix, j'imagine.

Nous y montâmes, peu sûrs de nous.

- Tenez-vous bien, criai-je à la jeune femme par-dessus le vacarme du torrent.

Elle acquiesça de la tête et je tranchai l'amarre. Aussitôt, nous fûmes poussés dans le plus fort du courant. La vitesse de notre embarcation s'accrut rapidement.

Nous voguions ainsi depuis peu, lorsqu'un curieux phénomène attira mon attention. Près de l'esquif, l'eau de la rivière bouillonnait. Saisi d'une soudaine intuition, je me retournai vers le moulin. Par Doublezérosept! On nous tirait dessus! Les hommes du comte nous avaient retrouvés!

- Baissez-vous!

Et, joignant le geste à la parole, j'empoignai la jeune femme et la forçai à s'aplatir au fond de l'embarcation. Pendant quelques instants, de nombreuses colonnes de vapeur s'élevèrent tout autour de notre barque. Puis, emportés rapidement par le courant, nous les laissâmes derrière nous. Une fois de plus, nous avions échappé aux gardes du comte. Mais ils n'abandonneraient pas pour autant. Comment allions-nous les esquiver sur cette rivière dont la force du courant rendait vaines toutes mes tentatives pour manoeuvrer notre esquif?

Je ne me souvenais pas avoir jamais été autant ballotté de ma vie, même lors de sauve-qui-peut tumultueux à bord du Coup de pot. Par lames entières, l'eau s'affalait sur notre esquif. Nous devions aussi écoper, tout en nous efforçant de ne pas passer par-dessus bord.

Parfois, à main gauche, sur la route de la rivière, nous apercevions les voiturettes des gardes qui tentaient de se maintenir à notre hauteur. Je ne m'en préoccupais guère pour le moment, même si, à l'occasion, ils essayaient de nous abattre. Pas le temps. Mes efforts pour rester à flot exigeaient toute ma concentration.

Lorsque la rivière s'élargit et que le courant s'apaisa enfin, notre esquif avait quitté la ville d'Ourmanie et il ne restait plus trace des hommes du comte sur la route de la rivière. Que s’était-il passé? Avaient-ils atteint le bout de l’autonomie de leurs petits véhicules électriques? Quoi qu’il en soit, tout à coup, on se serait cru en excursion romantique, à l'époque de mes arrières-arrières-arrières-arrières-grands-parents.

*

 

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