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Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
9 décembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 13e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

Chapitre 7

 

 

La ceinture portuaire formait une bande d'une dizaine de kilomètres de profondeur qui entourait l'astroport. Elle était divisée en deux zones distinctes: la zone Sud, réservée aux officiers, personnages importants, membres de gouvernements; et la zone Nord, où se retrouvait la faune bigarrée propre aux astroports: astros des deux sexes, mécaniciens, rouleurs de bosse, loubards, hommes de main. 

Les endroits malfamés ne manquaient pas dans la zone Nord. Hôtels miteux, bordels et bistrots-restos peu recommandables y pullulaient. Le Pied rond était un de ces endroits où se rassemblaient les astros pour manger un morceau. Mais, surtout, pour boire un coup. 

Je pénétrai dans l'établissement. Le videur, un monstre de chair et de graisse, me regarda passer d'un oeil soupçonneux.

Au cours de l'après-midi, j'étais passé au bâtiment administratif de l'astroport, où un sous-chef m'avait confirmé les déclarations du comte. Un rapport officiel existait effectivement sur le vol de son yacht. Ce rapport l'éliminait de la première place sur ma liste de suspects. Les véritables coupables étaient les voleurs du yacht. Nul doute dans mon esprit qu'ils étaient aussi les kidnappeurs.

Cherchant un moyen de retracer la fille du ministre, j'eus l'idée de faire le tour des bistrots. Sûrement, quelqu'un, quelque part, avait vu quelque chose. On ne dérobait pas un yacht spatial comme on chapardait une carte d'identité, après tout. Sans compter que le retour du Sanguin sortait suffisamment de l'ordinaire pour avoir attiré l'attention.

Je descendis deux marches et je débouchai dans une petite salle bondée. Des gens de planètes différentes s'agglutinaient autour de petites tables rondes. Le brouhaha des conversations rivalisait avec un fond musical non identifiable. Au plafond, une couche de fumée, attirée par des ventilateurs essoufflés, stagnait.

Trois autres marches me menèrent au niveau de la foule. Une place se libéra au bar. Je m'y faufilai, jouant des coudes. Le barman, pourtant occupé, m'aperçut aussitôt.

- Qu'est-ce que ce sera?

- Un cafard, commandai-je.

Pendant que le barman préparait ma commande, j'observais discrètement mes voisins immédiats. Celui de droite m'intrigua un moment, jusqu'à ce que je reconnusse un travesti.

Je m'intéressai alors à celui de gauche: une pièce d'homme, bâti comme ces ours que l'on voyait parfois dans les documentaires anciens traitant de la faune de la Vieille Terre. Une grosse barbe lui camouflait le bas du visage et les cales sur ses mains révélaient que le travail physique ne lui était pas étranger. Sa vareuse, qu'il avait posée par terre, entre ses jambes et le bar, portait l'insigne des astros-mécanos. Il s'imbibait depuis un bon moment; son regard vitreux en témoignait. Lorsqu'il se tourna vers moi, j'eus droit à un échantillon de son haleine. Crash! Elle seule aurait suffi à m'enivrer!

- Dites donc, mon vieux, lui criai-je à l'oreille, une combinaison isotherme serait plus efficace pour vous protéger du froid de l'espace que tout cet antigel.

L'ours me regarda, hébété, comme s'il ne comprenait pas le sens de mes paroles.

Le barman choisit cet instant pour revenir avec mon verre. Je profitai de son passage  pour lui montrer l'holo de Tnarshalla, que je traînais sur moi.

- Vous avez vu cette fille?

Il lorgna rapidement l'holo, fit un signe négatif et passa à un autre client qui le réclamait. Bon. Ce n'était pas de lui que j'apprendrais où était passée la gamine.

J'allais remettre la plaquette holographique quand mon pochard de voisin me l'arracha des mains.

- J'la connais! s'exclama-t-il d'une voix pâteuse.

Instinctivement, je retins mon souffle et m'assurai qu'un imprudent n'alluma pas de flamme vive à proximité. Imbibé comme il l'était, la moindre étincelle suffirait à l'embraser.

- J'la connais! J'la connais! répéta-t-il. La pauv' 'tite fille!

Bien qu'il fût complètement beurré, l'ours savait quelque chose. Je n'en doutais pas. Il me fallait l'amadouer. Je passai un bras autour de ses épaules et fis signe au barman de lui renouveler sa dose. Je pris alors le risque de me pencher sur lui.

- Où l'avez-vous vue? demandai-je.

- J'la connais! J'la connais! La pauv' 'tite fille! La pauv' 'tite fille!

Mon ours en tenait toute une. Il ne serait pas facile de le faire parler. Je dus répéter quatre fois ma question avant d'obtenir un semblant de réponse.

- À Dalvro. Pauv' 'tite! Pauv' 'tite! L'ont mise dans un grand corbillard. C't'un accident. J'le jure! Pauv' 'tite!

« Dalvro » était le nom de cet astroport désaffecté où l'on avait retrouvé le yacht du comte. Sans doute mon ours s'y trouvait-il au moment où les kidnappeurs déchargeaient leur victime. Mais que toutes les divinités cosmiques me foudroient si je savais ce que venait faire là-dedans le corbillard! 

- Où est-elle maintenant? OÙ EST-ELLE?

J'eus beau répéter, crier, hurler, mon soiffard ne savait que rabâcher « Pauv' 'tite! Pauv' 'tite ». Impossible d'en tirer autre chose. Si je voulais qu'il m'en dise plus, je devrais le ramener avec moi jusqu'au Coup de pot, lui injecter une sérieuse portion d'antivresse et attendre qu'il reprenne ses sens. Déjà, le sortir d'ici sans le secours d'un chariot de chargement ne serait pas de la petite bière; ses jambes n'étaient sans doute plus en mesure de le soutenir.

Je réglai le barman. Puis, faisant appel à mon entraînement d'agent spécial, je chargeai l'ours sur mes épaules. J'eus besoin de toute ma concentration pour empêcher mes genoux de fléchir sous son poids. Il me fallait maintenant me frayer un passage jusqu'à la sortie.

Marchant sur des dizaines d'orteils, je traversai la salle sous une pluie d'invectives. L'escalier fut quelque peu délicat à grimper, mais je m'en tirai avec les honneurs et, bientôt, je me retrouvai à l'extérieur.

Devant le bistrot, j'hésitai. Comment appeler un taxi avec cette charge sur le dos? D'un autre côté, si je le déposais maintenant, je n'aurais plus la force de le remonter sur mes épaules.

Je remarquai alors les quatre hommes qui sortaient du Pied rond et qui s'avançaient vers moi, menaçants. Joie. On avait résolu mon dilemme.

Je me défis de mon ivrogne, le plus délicatement possible dans les circonstances et, aussitôt, me sentis plus léger.

J'adoptai une position de défense.

Mes adversaires formèrent un demi-cercle. J'eus l'impression de les connaître... Du moins, de les avoir déjà vus quelque part. Mais où? Puis je les replaçai: c'était les bouffons qui, depuis mon arrivée, surveillaient le Coup de pot! À un moment où à un autre, je les avais repérés qui traînaient autour de mon aviso.

Le premier, svelte, teint foncé, nez en mailloche, portait un chapeau mou qu'il retira un instant pour passer une main dans ses cheveux noirs et drus. Il dit quelques mots à ses acolytes et je reconnus en lui l'homme à l'accent chantant qui s'entretenait avec le comte, lors de ma visite.

Le deuxième possédait un sourire qui me fit froid dans le dos. Coiffé d'un turban plus très blanc, il me dévorait de ses yeux globuleux.

Le plus gros des quatre avait les yeux bridés et était complètement chauve. Je l'avais aperçu auparavant, couché sur une banquette d'un turbo, paraissant ivre mort. Malheureusement, il était bien vivant aujourd’hui, solidement campé sur ses jambes de lutteur sumo.

Mon quatrième adversaire, quant à lui, semblait bien insignifiant après le mastodonte: un petit rouquin au long nez pointu et aux dents longues. 

À tour de rôle, comme s'ils avaient répété la scène, ils sortirent une arme blanche, avec laquelle ils me menacèrent. Lentement, rictus aux lèvres, ils avancèrent vers moi.  Ils paraissaient sûrs d'eux. À vrai dire, en ce moment, je n'aurais pas parié sur moi non plus. Désarmé, seul contre quatre, je pouvais déjà verser un acompte sur mon urne funéraire. À bien y penser, avec la tête d'assassin de ces types, il ne resterait probablement pas assez de ma personne pour justifier l'acquisition d'une urne.

Les tueurs prenaient leur temps, semblaient vouloir faire durer leur plaisir. En d'autres circonstances, je n'y aurais pas vu d'inconvénient, mais puisque leur plaisir équivalait à ma torture, je décidai d'activer un peu les choses; je m'étais toujours précipité sur les mauvais moments, me disant qu'ils seraient plus vite passés.

- Alors, les valseurs, vous vous décidez?

- Pauv' 'tite, pauv' 'tite, marmonna l'ours, derrière moi, entre deux ronflements.

L'homme au chapeau mou m'attaqua le premier. Vif comme l'éclair,  je bloquai le coup de l'avant-bras, le saisit au poignet et, d'une pirouette, le fis voltiger dans la rue. Un taxi dut faire une embardée pour l'éviter, mais déjà je me concentrais sur mon deuxième assaillant.

Celui-ci faisait preuve d'une agilité peu commune. Il sautait, bondissait, effectuait des acrobaties étonnantes. À deux reprises, il faillit me surprendre. Toutefois, lorsque je réussis à lui mettre la main au collet, je l'expédiai à travers la vitrine du Pied rond.

J'avais vu, un jour qu'une tempête avait sérieusement amoindri les possibilités de mon poste d'holovision, un reportage sur la tauromachie, telle qu'elle se pratiquait encore sur une ou deux planètes de l'Alliance. Mon troisième opposant me rappelait ces bêtes-robots dont on se servait pour ce spectacle. Croyant que sa masse était un avantage imparable, il fonça directement sur moi. Je le cueillis à la pointe du menton de mes deux poings soudés, puis lui fis faire la révérence avant de le mettre K.-O. du tranchant de la main.

J'attendis le dernier de pied ferme. Finalement, le petit exercice se déroulait plus rondement que je ne l'avais craint. Il me faudrait un jour cesser de me fier aux apparences.

Le quatrième larron, néanmoins, se montra plus astucieux que ses collègues. Il prit le temps de m'observer, de préparer une tactique d'attaque, qui faillit bien réussir, d'ailleurs. De justesse, j'évitai sa première charge. Puis une deuxième. À la troisième, je feintai et pris enfin l'avantage du combat. L'issue ne tarderait plus, je l'avais à ma merci.

Je ressentis alors un coup violent derrière la tête. Trou noir.

*

 

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