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Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
29 novembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 3e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

Chapitre 3

 

 

 

- Eh bien, garçon! Pour un comprimé, c'est tout un comprimé!

Nous arrivions en vue de l'usine spatiale d'Yssub. Le gros de la structure ressemblait effectivement à un comprimé. Un comprimé de dix kilomètres de rayon. En périphérie de la surface supérieure, des griffes se dressaient perpendiculairement. Équidistantes l'une de l'autre, ces griffes étaient en fait des docks de chargement et d'embarquement. Une des griffes retenait un énorme cargo.

En sortant de l'hyperespace, nous avions pénétré dans le système solaire de Nirom. Nous y avions progressé à une fraction de la vitesse de la lumière, en propulsion pulsionique, sous la menace des tourelles de surveillance qui protégeaient l'usine. Ce système stellaire comptait cinq planètes, dont la planète-arsenal autour de laquelle tournait Yssub. Nous avions à peine franchi l'orbite de la planète la plus extérieure lorsqu'on nous avait interpellés.

J'avais alors émis le code d'identification de mon aviso, mon code personnel, mon niveau de sécurité certifié, mes « lettres de créances » et mon ordre de mission. Surprise! Cela avait suffi à rassurer les autorités d'Yssub, qui m'avaient ordonné de poursuivre jusqu'à l'usine sans m'arrêter. À mon grand étonnement, nous n'avions pas été visités par les Vérificateurs d'Yssub, que l'on disait pourtant paranoïaques. D'autant plus étonnant, quand on considérait le nombre de navires arraisonnés que nous avions dépassés sur notre route vers Yssub.  

- Il se passe quelque chose, fis-je remarquer au pirate. Tout ces vaisseaux immobilisés, ce n'est pas normal.

- Pas du tout contents, les citoyens, nota Gus après un rapide balayage des ondes. Plusieurs réclament la peau des fesses du directeur de l'usine.

À cinq kilomètres de notre but, nous reçûmes un message radio, sans image.

- Coup de pot, coupez tout, nous vous prenons en charge.

Je me hâtai d'obéir. Aussitôt, un rayon-tracteur saisit l'aviso et l'amena avec  précision au dock qu’on nous avait alloué. Une légère secousse, un claquement sec.

- Nous sommes arrimés, garçon, confirma Gus.

- Très bien. Je vais chercher l'information dont j'ai besoin, et je reviens. Ça ne me prendra pas plus d'un quart d'heure.

Derrière sa barbe rousse, Gus m'adressa un air sceptique.

- Promis, ajoutai-je. En m'attendant, garde le fort.

Il ne dit rien, mais je vis bien que je ne l'avais pas convaincu. Pourtant, j'étais sincère. Je n'avais pas la moindre envie de m'attarder à Yssub.

Emmenant avec moi le disque contenant les données que m'avait fait parvenir mon patron, et un sac rempli de quelques outils et instruments indispensables pigés dans mon caisson, je passai dans le sas du Coup de pot. La porte extérieure coulissa. De l'autre côté, un petit homme à la calvitie avancée, aux yeux verts et aux oreilles pointues m'attendait, bras ouverts.

- Qu'est-ce que...

Je n'eus pas le temps d'en dire plus. Déjà, il me serrait contre lui et, se hissant sur la pointe des pieds, m'embrassait sur la bouche. Je le repoussai, mais il s'accrocha à moi.

- Je suis si heureux de vous voir! s'exclama-t-il. Si heureux, si heureux! Si vous saviez comme je suis heureux.

Il me lâcha enfin, mais pour mieux me prendre par le bras.

- C'est épouvantable! s'exclama-t-il en m'entraînant hors de la pièce à peu près nue qui servait de salle d'accueil.

À qui le disait-il! Je n'avais jamais été embrassé par un homme.

- Heureusement, vous avez fait vite, continua-t-il, visiblement soulagé.

Nous passâmes directement dans une cabine d'ascenseur qui, sitôt ses portes refermées, se mit à descendre. Pendant tout le trajet, qui me parut interminable, je me demandai de quoi parlait le petit homme. Je finis par l'interroger subtilement, mine de rien.

- De quoi parlez-vous donc?

Mon interlocuteur parut un tantinet surpris.

- Vous n'êtes pas ici pour le vol des plans?

Vol des plans? Quel vol des plans? C'était à mon tour d'éprouver de la surprise. Je la camouflai pourtant derrière un sourire affable.

- Mais bien sûr, mon cher! lançai-je, rassurant. Le vol des plans, bien sûr! Pardonnez cette petite comédie. Soucis de sécurité, vous comprenez. Au fait, vous n'avez pas lu mon ordre de mission?

- Non, avoua le petit homme en baissant le regard. J'étais trop heureux et soulagé de votre arrivée pour m'y attarder.

Complètement dans le brouillard, je saisis le rôle que m'offrait le lutin, espérant en apprendre plus, faisant preuve ainsi d'une remarquable faculté d'adaptation.

- À qui ai-je l'honneur? m'enquis-je, croyant venu le moment des présentations.

Mon interlocuteur me dévisagea comme si j'aurais dû, déjà, connaître la réponse à ma question.

- Je suis un excellent agent, insistai-je, mais je ne sais pas encore lire dans les esprits.

- Désolé, dit le petit homme. Puisque j'avais personnellement signé et envoyé mon rapport, je croyais...

Oups! Bévue!

- Je ne suis pas affecté à la réception des rapports, mon cher, me rattrapai-je.

Quand je disais que j'étais doté d'une excellente faculté d'adaptation...

- Oh! Évidemment! admit le lutin, à mon grand soulagement. Où avais-je la tête? Je suis Eric McCarth, le directeur d'Yssub.

- Enchanté, monsieur le directeur.

- Moi de même, moi de même.

À ce moment, l'ascenseur arriva enfin au bout de sa descente. Toutefois, contrairement à mes attentes, les portes ne coulissèrent pas. Je crus à une panne, mais comme le directeur ne paraissait pas troublé par l'incident, je me tins coi.

McCarth fouilla dans un compartiment logé sous le panneau de contrôle de l'ascenseur.

- Nous allons devoir porter des protecteurs auditifs. Curieux, qu'avec tous les miracles de la technologie, ils n'aient pas encore trouvé moyen de fabriquer des machines silencieuses. Tenez. Il faut aussi enfiler une combinaison stérilisée.

Une combinaison stérilisée dans une usine? Au moment de revêtir la combinaison, je remarquai qu'il en portait une déjà. Il s'en défit et en enfila une nouvelle.

- C'est nécessaire, expliqua-t-il, puisque j'ai été à votre contact.

Que voulait-il insinuer? Que j'étais sale?

Voyant ma mine offusquée, il précisa que c'était une question de stérilité.

- Stérilité? m'enquis-je, stupéfait.

- Toutes les opérations de fabrication à Yssub doivent être accomplies en milieu stérile.

Ah bon! Il me semblait, aussi, que je n'étais pas en cause.

Le protecteur auditif ressemblait tout à fait à un casque spatial. En l'examinant de plus près, je remarquai qu’il s'agissait bien d'un casque spatial. On l'avait modifié, toutefois. Tout le circuit de prise du son ambiant, microphone inclus, avait été arraché. De plus, on y avait ajouté une couche d'un produit qui devait l'insonoriser complètement.

- Bouclez-le bien avant que je n'ouvre les portes, me recommanda mon guide.

Les portes de l'ascenseur coulissèrent. De l'autre côté, une voiturette nous attendait, une deux-places, sur monorail. Particulier, le véhicule: les deux places étaient l'une derrière l'autre, et non côte à côte.

- Veuillez prendre place à l'arrière, invita le petit homme.

- Et si vous me racontiez un peu, maintenant, ce qui s'est passé? demandai-je par la radio de mon casque.

Déjà, notre voiturette s'était mise en marche, s'immisçant entre des montagnes d'acier, des machines gigantesques. De chaque côté, j'aperçus: presses, arbres, axes, cames, chaudières, engrenages, ponts anti-g. Je devais lever la tête à m'en casser le cou afin de prendre la pleine mesure du décor. Quelques instants de cet exercice suffisaient pour le rendre inconfortable. Je ramenai mon regard au sol. Le passage dans lequel nous circulions était des plus étroits. Il avait été calculé pour permettre à deux voiturettes de se rencontrer, mais sans plus. Le second rail, parallèle à celui que suivait notre véhicule, en témoignait.

- Comment vous êtes-vous aperçu de la disparition des plans?

- La disparition des plans! s'exclama le petit homme.

Il pivota sur sa banquette et m'agrippa le bras à nouveau. Décidément, cette habitude était bien déplaisante. Je le secouai, comme on secoue une puce de Thity qui s'est énamourée de vous, pendant qu'il m'implorait du regard.

- Les plans, reprit-il d'une voix geignarde. Je les avais presque oubliés.

À force de se faire secouer, le directeur finit par lâcher prise et reprendre place sur son siège. Il garda le silence, rassemblant sans doute ses pensées.

- Il me faut vous dire qu'il m'arrive de souffrir d'insomnie, commença-t-il. Pour y remédier, je me fais un casse-croûte, ou je vais me balader dans l'usine.

Je grognai sourdement. Ça commençait bien. Il aurait tout aussi bien pu débuter avec son enfance, tant qu’à y être!

- On n'y voit pas grand monde, la nuit, expliqua-t-il. En fait, on n'y voit jamais grand monde; nous ne sommes que quatre y travailler à Yssub: deux ingénieurs, un technicien et moi. C'est dire qu'on ne se marche pas sur les pieds. Bref, ne pouvant dormir, je faisais une promenade, lorsque j'ai repéré, du coin de l'oeil, un mouvement suspect.

J'allais lui demander de préciser, mais il poursuivit de lui-même.

- Comprenez-moi. À cette heure-là, à cet endroit, il n'aurait pas dû y avoir le moindre mouvement. Je me suis approché, sur la pointe des pieds, et j'ai découvert un petit insecte, un droïde assurément, qui cherchait à pénétrer dans la section ultra-secrète de l'usine, là où l'on conserve les plans de nos propulseurs. Ne me demandez pas comment il était venu là. Sans doute l'équipage d'un des cargos amarrés à l'usine dans la journée, ou même lors des jours précédents, l'avait introduit subrepticement.

Le directeur, une fois lancé, était impossible à interrompre.

- Lorsque je m'en suis approché et que j'ai voulu la saisir, la libellule mécanique s'est enfui à tire d'ailes. J'étais sur le point de la poursuivre mais, la perdant vite de vue, je suis revenu sur mes pas pour vérifier les dégâts qu'elle avait pu causer dans la section ultra-secrète. J'ai constaté alors qu'une série de codes de protection de la mémoire, chargée des plans top-secrets d'Yssub, avaient été déchiffrés. Assurément, l'insecte n'en était pas à sa première infraction.

- Vos conclusions, monsieur? interrogeai-je quand je pus enfin placer un mot.

Le petit homme me regarda comme s'il avait oublié que je me trouvais derrière lui. 

- Je suis personnellement convaincu que le petit droïde a pu télécharger des fichiers ultra-secrets, s’écria-t-il.

C'était bien pensé, songeai-je. Tout être vivant non-autorisé à séjourner sur Yssub aurait été aussitôt détecté par les systèmes de sécurité, alors qu'un petit droïde, s'il était suffisamment petit et sophistiqué pour se faufiler entre les lasers de détection, avait toutes les chances d'atteindre son but sans être inquiété. Il devait être particulièrement intelligent, toutefois, pour venir à bout des codes de protection de la mémoire.

L'espionnage industriel était affaire courante, tant de nos jours qu'à l'époque de la vieille Terre. Plusieurs s'y essayaient. Habituellement, les espions, fortiches en informatique, tentaient de percer virtuellement les protections par ordinateurs interposés.  Mais c'était peine perdue. Lesdites protections avaient justement été conçues pour contrer ce genre de piratage.

Il fallait avoir une bonne connaissance de l'histoire des hommes et des machines, et ne pas craindre d'employer des moyens qui paraissaient dépassés depuis deux cents ans, pour faire appel à un petit droïde. Malgré moi, je ne pouvais qu'admirer l'esprit qui avait pensé à ce moyen de contourner la sécurité d'Yssub. À qui appartenait cet esprit inventif, original? Il valait la peine d'essayer de le découvrir. N'était-ce que pour pouvoir le tenir à l'oeil et le ficher.

Je demandai au directeur de me conduire à l'endroit où il avait vu la libellule. Il eut un moment d'hésitation, prétextant que cet endroit était le plus secret de l'usine. Je lui rappelai que je détenais un niveau de sécurité suffisant pour y pénétrer.

Il me mena donc à la section ultra-secrète.

Avant qu'il ne coupât le champ de force qui en protégeait l'accès, j'examinai celui-ci au détecteur et découvris un petit trou d'un centimètre de diamètre dans la muraille invisible. Le droïde s'était foré un passage. C'était sans doute cette issue qu'il cherchait quand l'avait surpris Eric McCarth.

Le directeur d'Yssub coupa les lasers de détection par un code subvocal complexe et nous pûmes pénétrer dans la section ultra-secrète. En la voyant, je fus déçu. Elle se résumait à une seule salle peinte en blanc et presque vide. Au centre, une console surmontée d'un grand écran holographique. À même la console, je reconnus pas un, mais TROIS identificateurs: un vocal, un rétinien et un génétique.

Avant de m'asseoir à la console, je subvocalisai mon code d'identification pour l'identificateur vocal, appliquai mon oeil droit au senseur optique de l'identificateur rétinien et offris un de mes cheveux bouclés à l'identificateur génétique. Ayant vérifié que j'étais bien qui je prétendais être ) et bénéficiant de l'accord du directeur qui se tenait à mes côtés ), je pus prendre place devant la console.

Je ne mis guère de temps à m'assurer que le directeur m'avait dit la vérité. Du moins, en ce qui concernait les trois codes de la mémoire qui avaient été percés. Après un court séjour dans l'univers virtuel de l'ordinateur, je pus même confirmer les pires craintes du petit homme: le droïde avait effectivement téléchargé deux documents. Quand je lui dis lesquels, le directeur blêmit dangereusement et faillit s'étendre de tout son long.

- Ressaisissez-vous, monsieur! aboyai-je dans mon micro.

Je n'avais pas du tout envie de me transformer en nounou. Je n'avais pas le tempérament pour cela.

- Ce n'est pas le moment de tourner de l'oeil. Vous avez un droïde pirate qui se balade dans l'usine, lui rappelai-je. Je vous suggère de le retrouver au plus tôt...

Le petit homme se maintint au dossier de mon fauteuil. Après trois ou quatre respirations profondes, quelques couleurs réapparurent sur son visage.

- Dès que j'ai constaté les dégâts, expliqua‑t‑il, j'ai mis Yssub en quarantaine. Personne n'a quitté les docks depuis. Personne ne s'est amarré non plus, sauf vous.

Je comprenais un peu mieux les hauts cris de mécontentement que nous avions captés à notre arrivée. Si tous ces astros étaient immobilisés dans leurs silos propulsés depuis la nuit dernière, leur rêve de s'offrir une peau tannée de directeur n'avait rien d'étonnant.

Parlant du petit homme, il s'agrippa à mon bras encore une fois, à mon grand dam.

- Vous allez m'aider à retrouver le droïde, n'est-ce pas? implora-t-il.

- Pas si vous continuez à vous emparer de mon bras, l'avertis-je. Je n'ai rien contre les contacts intimes, mais vous n'êtes vraiment pas mon genre.

Le directeur, d'abord estomaqué, se le tint pour dit. Il retira sa main.

- Bon. Maintenant, voyons un peu ce que je peux faire pour vous.

Je contactai Gus et le mis au courant des derniers développements. Évidemment, le vieux pirate ne manqua pas de rigoler et de me rappeler que je comptais être de retour à bord de mon aviso avant quinze minutes. Avec l'affaire du vol des plans, j'avais dépassé ce délai depuis longtemps.

- Si t'as un peu fini de te tordre dans tous les sens, lui lançai-je enfin, tu pourrais peut-être me donner un coup de main.

Cette sortie le fit hurler de plus belle. Je grimaçai et patientai devant l'écran holo de mon communicateur. J'avais appris depuis longtemps que c'était l'unique chose utile à faire. En constatant que je refusais de m'énerver, Gus finit par se calmer.

- Tu n'es pas drôle, tu sais!

- Je sais. Maintenant, si ce n'est pas trop te demander, branche tout ce que t'as de senseurs et balaie l'intérieur de l'usine. On a un droïde-espion qui se balade en liberté, ici, et j'aimerais bien mettre la main dessus.

- Entendu, garçon! lança Gus, soudain cérémonieux.

Enfin, autant que Gus puisse être cérémonieux. Il n'était pas du tout du genre à vous donner du capitaine à longueur de journée. Que dis-je! Il n'était pas du genre à vous donner du capitaine, point!

Pendant tout cet échange entre Gus et moi, le directeur s'était noué et dénoué les doigts avec impatience.

- Plutôt impertinent, votre hologramme, non? Je peux vous arranger cela, si vous voulez. En quelques heures, je lui donnerai une nouvelle personnalité.

Je considérai l'offre. Plus d'engueulades avec mon ordinateur de bord. Plus de luttes de pouvoir. C'était tentant. Et soudain, je me rendis compte que sans ces « petites discussions animées », nos voyages à bord du Coup de pot seraient bien ternes.

- Merci de votre offre, monsieur. Mais je m'y suis habitué, maintenant.

À ce moment, Gus reparut à l'écran de mon communicateur.

- J'ai quelque chose, garçon. Un écho dans le secteur quatre.

- O.K., nous y allons!

Le directeur et moi reprîmes place dans la voiturette. Je laissai à mon compagnon de route le soin de nous mener au bon endroit, convaincu qu'il connaissait son usine bien mieux que moi.

La voiturette fila à vive allure entre les machineries monstrueuses.

- Pas bien gros, ton droïde, remarqua Gus. Tu es sûr d'avoir besoin de moi?

- Sûr! Garde un oeil dessus et avertis-moi s'il se déplace. Avec toutes les interférences qu'il y a ici, je ne réussis même pas à le localiser.

J'avais sorti de mon sac un localisateur portable, mais la présence de nombreuses machines en activité confondait complètement l'instrument de détection. Dépourvu des filtres et de l'identificateur mnémonique dont était pourvue sa version sophistiquée du Coup de pot, le localisateur portable ne parvenait pas à isoler le petit bip représentant le droïde.

- Tu approches, garçon, m'annonça Gus.

- La bestiole n'a pas bougé?

- Non. J'ai l'impression qu'elle se terre.

Nous franchîmes un sas et débouchâmes dans un très vaste entrepôt. Aussitôt, les centaines de bips disparurent de l'écran de mon localisateur portable pour n'en laisser qu'un: le droïde.

- L'entrepôt est protégé? m'étonnai-je.

- Il y a ici des composantes très fragiles qui ne supporteraient pas les rayonnements et vibrations de l'usine, répondit le directeur en tournant la tête dans ma direction.

La biplace progressait maintenant à faible vitesse.

- Arrêtons-nous, monsieur le directeur. Nous sommes assez près. Avant d'aller plus loin, tâchons de coordonner notre action.

D'accord, nous avions retrouvé le moustique, mais que faire maintenant? Nous ne possédions même pas l'esquisse d'un plan.

- Il faut d'abord empêcher la bestiole de quitter cet entrepôt, dis-je. Y a-t-il moyen de verrouiller toutes les issues?

- Mais certainement!

Et le petit homme donna les ordres en conséquence.

- Gus?

- Oui?

- Tu lis la même chose que moi sur tes appareils? Le droïde n'as toujours pas bougé?

- Toujours dans son trou, garçon.

- C'est étrange, non? Il aurait dû nous repérer, maintenant, et tenter de filer.

- Ah! s'exclama le pirate après quelques instants. Plus intelligent que je ne le croyais, l'insecte! Il s'est placé volontairement en mode « repos » afin d'éviter la détection. Malheureusement, c'était compter sans moi. Il est pratiquement aveugle, en mode « repos ».

- Voilà qui explique son inertie. Cela devrait nous faciliter la tâche. Monsieur le directeur, continuez dans la voiturette, vous l'affronterez de face. Moi, je le contournerai.

Je descendis du petit véhicule.

- Attendez mon signal pour agir.

Le directeur acquiesça. Je m'éloignai.

- Gus, à la moindre réaction de la bestiole, tu m'avertis.

- Bien sûr, garçon!

Jetant de fréquents regards à mon localisateur, je fis le tour de caisses énormes et de conteneurs coulés d'une pièce. J'arrivai à l'endroit où devait se trouver le droïde. Je mis du temps à l'apercevoir. Dans un recoin sombre, sur le sol, l'insecte, ailes repliées, ne bougeait pas. Il ressemblait effectivement à une libellule de six ou sept centimètres de long.

Je donnai le signal au directeur. Il me confirma son approche.

Soudain, les antennes du droïde frémirent. Puis elles vibrèrent de plus en plus rapidement, semblant exprimer de l'inquiétude. Crash! L'insecte s'était réveillé! Il me fallait agir avant qu'il ne s'envole.

Je jaillis de ma cachette et bondit sur ma victime, qui décolla en trombe, me fila entre les doigts.

- Elle s'envole, garçon! Elle s'envole! me criait Gus dans le communicateur.

- Je n'avais pas remarqué, lançai-je, ironique, en me remettant sur pieds. Dis-moi plutôt où elle se trouve.

- Elle se dirige vers le sas principal.

La voiturette du directeur apparut à ce moment. Je sautai à bord.

- Au sas principal, chauffeur! ordonnai-je.

Les rails ne permettaient pas de retourner le véhicule. Aussi, mon compagnon enclencha la marche arrière et la voiturette se mit à reculer à une allure folle. Je me tapis au fond de mon siège, pas trop certain d'aimer me retrouver, soudain, « à l'avant ».

Le sas apparut et se rapprocha très rapidement.

- Il faudrait peut-être songer à freiner, monsieur, fis-je, camouflant ma trouille sous un verni de courage.

Je venais de me rappeler que j'avais fait verrouiller le sas. Il ne s'ouvrirait pas à notre approche... Je priai toutes les déités du cosmos pour que le véhicule fût doté de freins remarquables... et que le directeur se décidât à les utiliser au plus coupant.

La voiturette décéléra brutalement.

- Elle revient! hurla Gus.

Je levai les yeux, vis la libellule. Par pur réflexe, je bondis et l'attrapai au vol. Coup de chance!

Toutefois, je n'eus pas sitôt réintégré ma banquette que le petit droïde se mit à émettre une lueur inquiétante. Ses petits yeux à facettes prirent un éclat rougeâtre et son corps irradia une chaleur qui devint vite insoutenable.

- Débarrasse-toi de ça, garçon. Vite! Il est en train de s'auto-détruire!

Craignant une explosion, je lançai la libellule de toutes mes forces et me planquai au fond de la voiturette.

Rien. Lassé d'attendre une explosion qui ne venait pas, je risquai un regard et vis le droïde qui finissait de se consumer de l'intérieur. Bientôt, il n'en resta plus rien. Dommage. Un examen attentif nous aurait peut-être permis de découvrir l'identité du petit génie qui l'avait envoyé à Yssub.

Pour le directeur, seul comptait le fait que les plans n'aient pas quitté Yssub. Il se moquait de connaître l'identité de l'espion.

- Je ne sais comment vous remercier, reprit-il avec effusion, une fois remis de ses émotions.

- J'ai bien une petite idée, dis-je, sautant sur l'occasion.

- Dites, mon cher. Dites. Je n'ai rien à vous refuser, je vous dois ma carrière.

- J'aurais une petite information à vous demander...

Je lui expliquai ce que j'attendais de lui. Aussitôt, il me mena à son bureau.

La pièce, spacieuse, était décorée d'holographies de gens - sa famille? - et de paysages pittoresques. Les murs en étaient couverts. Je le suivis jusqu'à son bureau de travail, sur lequel je reconnus un ordinateur, qu'il consulta.

- Nous ne fabriquons ce genre de propulseurs hyperspatiaux que depuis deux ans, me confia-t-il. Et uniquement pour les chantiers de Lub-Docks. Une commande spéciale, si l'on veut.

- Lub-Docks? C'est donc à eux que vous avez vendu le propulseur qui m'intéresse?

- Oui.

Si Lub-Docks avaient acheté le propulseur installé sur le yacht qui avait servi à kidnapper la fille du ministre des Finances de Trahjan, Lub-Docks devenaient suspects.

- Combien leur en avez-vous vendus?

Le directeur consulta à nouveau sa banque de données. 

- Vingt-trois, précisément.

Cela ferait vingt-trois yachts dont il faudrait retrouver la trace. Puis une curieuse idée me passa par la tête.

- Dites-moi, monsieur, avez-vous reçu la visite de quelqu'un de Lub-Docks ces derniers jours?

Après une nouvelle consultation avec son ordinateur, le petit homme me regarda.

- Ils sont venus chercher une commande, il y a trois jours.

- Vraiment!

Il me dévisagea un instant, puis rigola doucement.

- Je vois ce que vous voulez insinuer, mon cher. Vous croyez que ce sont les gens de Lub-Docks qui ont introduit le droïde dans l'usine. Mais leur visite à ce moment ne prouve absolument rien. Lub-Docks est un client régulier. On les voit arriver toutes les deux semaines. Ce n'est pas comme s'ils étaient un nouveau client. Ils font affaire avec nous depuis des années. S'ils avaient voulu voler nos plans, ils s'y seraient pris bien avant, croyez-moi!

Je n'insistai pas. Le directeur avait probablement raison. À la place, je lui demandai une liste de tous les clients qui avaient abordé l'usine ces dix derniers jours. Il me la remit avec plaisir. Je la consultai rapidement. Il devait bien y avoir cinquante noms, dont Lub-Docks, MYC Engineering et JCN, pour ne nommer que ceux-là. 

Puis, lui disant que je poursuivrais mon enquête de mon côté, je pris congé et regagnai le Coup de pot... deux heures et demie après le délai que je m'étais fixé.

 

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