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Christian Martin: le romancier, le nouvelliste, le réalisateur, le lecteur
28 novembre 2016

Less Strade: Agent trrrrès spécial -- Le roman - 2e partie

Source: Externe

Tous droits réservés.

 

Chapitre 2

 

 

Dès mes premiers pas dans ce métier, on m'avait appris à toujours être prêt. Sous la base de mon lit, je conservais un petit sac de voyage, pourvu des premières nécessités. Il me suffisait de le prendre avec moi.

Je fis quelques recommandations à Gérard, alors qu'il me suivait au garage, et lui rappelai d'enguirlander vertement le réparateur d'holovision si par miracle 'il se présentait avant mon retour. Puis je montai à bord de mon glisseur.

Sitôt hors du garage, je mis le cap sur l'astroport central de Trahjan.

En route, j'avertis le personnel de l'astroport de ma venue. Je ne fus donc pas surpris, à mon arrivée, de voir mon aviso personnel qui m'attendait sagement sur son aire de départ. J'arrêtai le glisseur près d'un convoyeur et contemplai un instant mon petit appareil.

Je me souvenais encore de ma première mission. Bien sûr, je ne possédais pas alors cette petite bombe. À ses débuts, aucun agent n'a les moyens de s'offrir ce genre d'appareil. Il m'avait fallu louer un des appareils de dépannage que l'Agence tenait à la disposition de ses agents: une vieille caisse bringuebalante et cliquetante. Une ruine, quoi! qui avait bien failli me coûter ma peau noire. Seule une chance inouïe m'avait permis de sortir indemne de cette aventure. J'avais aussitôt pris une résolution: plus jamais je ne ferais confiance aux navires de l'Agence.

Après cette expérience riche d'enseignements et d'ecchymoses, j'avais vendu tout ce que je possédais et avais investi la totalité des crédits rapportés par ma première mission dans un premier versement sur mon propre appareil. Je ne l'avais jamais regretté.

Le Coup de pot, troisième du nom, se dressait fièrement sur ses béquilles. D'allure sportive, avec son nez effilé et ses courtes ailes tranchantes, son propulseur développait une puissance remarquable, compte tenu de ses modestes dimensions. Pour satisfaire à sa puissance, sa tuyère principale, à l'arrière, paraissait disproportionnée.

J'abandonnai mon glisseur aux mains d'un préposé, qui me salua courtoisement et, d'une commande vocale, déverrouillai l'accès de mon aviso. Le sabord s'ouvrit tout grand et la rampe d'embarquement se déploya, invitante. Je montai à bord en sifflant un petit air gai. J'abordais toujours le Coup de pot avec grand plaisir.

On ne qualifiait pas un aviso de cette taille de spacieux. Pourtant, il avait été si soigneusement aménagé, qu'on ne souffrait pas trop de l'exiguïté. Je franchis un sas et arrivai dans un étroit couloir. Bien que j'eusse envie de me rendre immédiatement au poste de pilotage, j'optai plutôt pour mes quartiers. Trois pas me menèrent à une porte étanche. J'appuyai la main droite sur un lecteur, et le panneau métallique coulissa dans la paroi.

La petite pièce que j'avais baptisée « mes quartiers » renfermait une couchette, un distributeur d'aliments, ainsi qu'un minuscule poste de travail. Au fond, dans un cagibi, siégeaient les installations sanitaires.

Je déposai mon sac de voyage sur la couchette, puis je me tournai vers le caisson spécialement aménagé, aux parois blindées. Je tapai mon code d'accès sur le décodeur et présentai mon oeil droit au lecteur optique. Dans un chuintement, le panneau servant de porte disparut. À l'intérieur, tout paraissait en ordre. Mon équipement d'agent spécial semblait au complet. Je vérifiai le témoin de sécurité: intact. Personne n'était venu tripoter mes petites affaires. J'étais rassuré. Mon matériel se trouvait dans l'état où je l'avais laissé après ma dernière mission: nettoyé, révisé et au point.

Lorsque votre vie dépendait de la condition de votre équipement, il valait mieux s'assurer deux fois plutôt qu'une que tout était en ordre.

D'une caresse du doigt sur le senseur, je refermai le caisson. Puis je pris la précaution de me rendre dans le cagibi de toilette, sachant par expérience que, sitôt après le décollage, l'envie d'uriner se manifesterait.

L'endroit n'avait jamais aussi bien porté la désignation qu'on lui donnait sur Xarlico: petit coin. L'appareil sanitaire et la douche sonique avaient été montés l'un dans l'autre par souci d'économie d'espace.

Tout à mon affaire, j'examinai l'écoutille sur le mur me faisant face. Elle dissimulait un sas par lequel on accédait à la section non-habitable de l'aviso. Dans cette section, on retrouvait moteurs, propulseurs, réservoirs, ainsi que les divers systèmes permettant au Coup de pot de parcourir l'espace à des vitesses fantastiques. Une fois dans l'espace, cette partie du vaisseau était dépourvue de gravité et d'air respirable. On pouvait aussi y avoir accès de l'extérieur, par un sabord sous l'appareil.

Ayant satisfait mon besoin, je vérifiai que l'écoutille de la section non-habitable était bien fermée. C’était plus par acquis de conscience qu'autre chose, car, en cas de pépin, dans quelque système que ce fût, l'ordinateur de bord sonnerait aussitôt l’alarme, ou y remédierait de lui-même.

Parlant de l'ordinateur de bord, il était temps de l'affronter.

Je quittai mes quartiers, n'accordant qu'un regard distrait au tiroir-médic, et longeai en sens inverse l'étroit couloir. En passant, je ramenai la rampe d'embarquement à l'intérieur et commandai la fermeture de la porte étanche de l’aviso.

J'atteignis la cabine de pilotage, me sentant quelque peu fébrile. Les derniers moments avant un départ me faisaient toujours cet effet. Devant un tableau de bord qui s'illuminerait sur mon ordre, deux fauteuils attendaient patiemment.

Avec un minimum d'acrobaties, je m'installai dans celui de gauche. 

Que Doublezérosept, patron des espions, me vienne en aide, murmurai-je tout bas. 

J’inspirai profondément.

- Gus, stand-by! ordonnai-je.

- Ce n'est pas trop tôt! répliqua aussitôt une voix masculine, provenant d'un haut-parleur. Depuis le temps que j'attends que tu me libères!

Il y a une vingtaine d'années, un sans-génie avait décidé de doter les ordinateurs d'une personnalité, dans le but supposé d'améliorer, de rendre plus conviviales, les relations entre un pilote et son appareil. Le concept était vite devenu la norme chez tous les fabricants, au plus grand dam des pilotes. Toute une génération d'ordinateurs avait ainsi hérité d'un caractère de vieux pirate grincheux. Gus était de cette génération.

- C'est inhumain de me faire poireauter comme ça! poursuivit Gus.

Je me mordis la lèvre, de crainte de dire quelque chose qui l'enflammerait vraiment. Car Gus se prenait souvent pour un être humain... et toujours pour le patron. L'adaptation, au début de notre alliance, n'avait pas été sans mal. Que de fois j'avais failli le démonter à coups de radiants. Seul le souvenir du prix qu'il m'avait coûté m'avait retenu. Il m'avait ensuite prouvé qu'il était vraiment le meilleur système ordiné sur le marché pour mon Coup de pot, m'ayant sorti plus d'une fois d'une situation critique. Avec lui, j'avais appris à soupirer, à établir certaines limites que je devais sans cesse lui rappeler, mais aussi à lui faire totalement confiance. Gus était l'âme de mon Coup de pot. Et à ce titre, j'aimais bien cette vieille fripouille.

- Qu'est-ce que t'attends?

- Mm?

Sorti de mes réflexions par sa question, je levai le regard et fixai l'objectif de la caméra qui me dévisageait.

- Par la Sainte-Barbe! L'iconoclaste rêve tout éveillé! s'emporta l'ordinateur.

- Tu as fini de gémir, Gus? fis-je, grignotant mes dernières miettes de patience.

L'objectif de la caméra, l'oeil de Gus, se replia de quelques centimètres sous le choc de la rebuffade.

- Pourquoi te fâcher, garçon? demanda-t-il d'un ton surpris dans lequel on sentait le reproche. Tu n'as jamais su converser agréablement. 

Je ne dis mot. Cela n'aurait servi à rien. Sa mauvaise foi était partie intégrante de son programme, tout autant que ses qualités exceptionnelles de navigateur.

- Prépare-toi au départ, Gus. Vérifie tous tes systèmes.

- Holà! Tu n'oublies pas quelque chose?

J'arrêtai mes manipulations et réfléchis un instant.

- Non, je ne vois pas.

- MOI! Par la Sainte-Barbe! Tu m'oublies, MOI! Ou bien, n'as-tu pas l'intention de me donner corps?

Je lisais le soupçon dans sa voix. Je n'y avais pas songé, mais, ma foi!, il ne serait pas désagréable, pour une fois, de laisser Gus dans sa boîte... 

Tout bien réfléchi, ce n'était pas une bonne idée. Déjà qu'il grinçait des circuits, il ne me laisserait pas en paix de tout le voyage, si j'omettais de le matérialiser.

J'enclenchai le générateur holographique.

Dans le fauteuil voisin, une forme humanoïde, d'abord translucide, se densifia graduellement. Un gros type à la barbe et aux cheveux de feu se retrouva assis à mes côtés. Il portait une chemise ample, un pantalon noir et des bottes. Il ne manquait que le tricorne, le bandeau sur l'oeil et la jambe de bois pour en faire le personnage de légende.

- Ah, garçon, comme il fait bon de se dégourdir les jambes!

- C'est ce que tu dis chaque fois, Gus.

- Parce que c'est vrai, garçon! Parce que c'est vrai!

Je profitai de son humeur joyeuse pour le charger de la vérification de tous les systèmes de l'aviso, pendant que je contactais la tour de contrôle de l'astroport central de Trahjan. Dès qu'on m'eut identifié, on m'accorda la permission de décoller en me communiquant le code fréquentiel du globe énergétique qui protégeait la planète. Il fallait émettre ce code pour franchir la barrière d'énergie, dans un sens ou dans l'autre. À moins de bénéficier, comme les ravisseurs de la fille du ministre, de moyens exceptionnels.

Comme je programmais notre destination dans l'ordinateur, l'image holographique de Gus me détailla, sourcils froncés.

- Allons, garçon! Que va-t-on faire sur Yssub? Il est plus difficile de s'y amarrer que de résister aux avances d'une Belle de Cadix.

La chose était difficilement concevable. La beauté des femmes de Cadix hantait le regard de tous les astros qui y avaient fait escale. Pourtant, je craignais que Gus eût raison. Le système de sécurité d'Yssub était tout aussi légendaire que les Belles de Cadix.

J'enclenchai la manoeuvre de décollage. Anti-g et propulseurs secondaires nous poussèrent en douceur aux abords du globe. Sitôt celui-ci franchi, j'engageai toute la puissance du réacteur principal et nous passâmes dans l'hyperespace.

 

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